HISTOIRE

LE COMMERCE DES FOURRURES

En Amérique du Nord, on piégeait des animaux pour en vendre la fourrure. La fourrure la plus couramment échangée était le castor, qui servait à fabriquer des chapeaux en feutre, très populaires en Europe à l’époque. Le commerce des fourrures a été florissant au Canada pendant près de 250 ans. Ce fut un acteur clé dans le chemin du Canada vers la souveraineté et il a également établi la relation coloniale entre les Européens et les peuples autochtones.  

Les premiers commerçants

La vie des peuples autochtones du Nord a commencé à changer avec l’arrivée des Européens au XVIIIe siècle. Jusqu’à ce moment-là, les communautés autochtones faisaient du troc entre elles. Mais lorsque les Européens ont commencé à arriver dans l’Arctique et le long de la côte pacifique de l’Amérique du Nord, les réseaux d’échanges établis depuis longue date entre les groupes autochtones ont changé radicalement ou ont été complètement abandonnés au profit d’échanges de fourrures animales contre des objets tels que des couteaux, des haches et des armes à feu offerts par les Européens.  

Les Russes et les Britanniques ont atteint la côte nord-ouest au cours des années 1700, où ils ont commencé à commercer avec les Premières Nations Tlingit le long des côtes de l’Alaska et de la Colombie-Britannique. Les Tlingit ont apporté des biens d’origine européenne à leurs partenaires commerciaux autochtones du Yukon, situés plus loin dans les terres. Certains de ces biens ont également été apportés par les Inuvialuit et les Gwich’in qui commerçaient avec les Européens dans la partie nord des Territoires du Nord-Ouest.

Bien que les Tlingit, les Gwich'in et les Inuvialuit aient traité directement avec les Européens, ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que la plupart des autres Premières Nations du Yukon se sont retrouvées face à face avec les Européens. Mais les rumeurs au sujet de ces étrangers se sont répandues vite dans le Nord, et la plupart des Autochtones avaient entendu parler des Européens bien avant de les avoir vus.

 
 

Le développement du commerce des fourrures

Les commerçants de fourrures européens étaient prêts à acheter toutes les fourrures que les Tlingit de la côte pouvaient obtenir de leurs partenaires de troc situés plus à l’intérieur des terres en Alaska et au Yukon. Les Premières Nations de l’intérieur des terres ont rapidement commencé à raconter des histoires sur les richesses du Yukon, encourageant les commerçants européens à venir y mettre le pied eux-mêmes. Les Premières Nations ont pensé qu’en construisant des postes de traite directement au Yukon, elles pourraient commercer directement avec les Européens et n’auraient plus à attendre que les Tlingit acheminent des biens européens depuis la côte.


En 1789, Alexander Mackenzie, un explorateur et commerçant de fourrures écossais, explorait le fleuve Mackenzie qui traverse les Territoires du Nord-Ouest. Il y a rencontré des Gwich’in qui avaient beaucoup de fourrures de haute qualité. Ils lui ont parlé de la terre à l’ouest, où ils avaient obtenu ces fourrures, et d’un grand fleuve, qui était probablement le fleuve Yukon. 

Carte du Yukon (en anglais).

Source : World Atlas, « Maps of Yukon ». https://www.worldatlas.com/maps/canada/yukon.

 
 
Un poste de traite est un type de magasin où les fourrures pouvaient être échangées contre d’autres biens. Les postes de traite du Yukon étaient généralement de petites cabanes en rondins.
 

Le nom anglais du fleuve Mackenzie vient en fait d'Alexander Mackenzie, qui fut le premier Européen à parcourir le fleuve sur toute sa longueur. Son nom inuvialuktun est Kuukpak, ce qui signifie "grand fleuve", et son nom gwich'in est Nagwichoonjik, ce qui signifie "fleuve traversant un grand pays".

Après avoir entendu l’histoire de Mackenzie, la Compagnie de la Baie d’Hudson (une société britannique de commerce de fourrures) a envoyé certains de ses commerçants de fourrures chercher un chemin du fleuve Mackenzie au fleuve Yukon à travers les montagnes. Mais ce n’était une route ni rapide ni facile. Le Nord était un endroit très hostile. Il faisait un froid glacial, et les montagnes étaient inhospitalières. À cette époque, la concurrence entre les commerçants de fourrures russes et britanniques était vive, et les combats entre les deux rivaux les ralentissaient également.  

En 1825, les Russes et les Britanniques ont convenu d’une délimitation entre leurs territoires commerciaux en Amérique du Nord, pour espérer mettre fin aux combats. La ligne suit le 141e méridien et est finalement devenue la frontière permanente entre le Yukon et l’Alaska. 

Pendant de nombreuses années, cette frontière n’a eu aucune importance pour les personnes qui vivaient dans le Nord. Elles la traversaient souvent sans même s’en rendre compte. Mais des années plus tard, après que la Russie a vendu l’Alaska aux États-Unis en 1867, les peuples autochtones du Yukon ont été contraints de choisir une allégeance entre le Canada et les États-Unis, même si leurs territoires traditionnels traversaient les deux pays.

Même si certains peuples autochtones ont salué l’arrivée des commerçants européens, d’autres n’ont pas voulu révéler les secrets de leurs terres traditionnelles. Les commerçants de fourrures étaient souvent abandonnés par les Autochtones qui étaient payés pour les guider jusqu’au Yukon. C’est ce qui est arrivé à John Bell après qu’il eût établi un poste de traite le long de la rivière Peel dans les Territoires du Nord-Ouest en 1840 (ce poste de traite deviendra plus tard la ville de Fort McPherson). Bell a essayé à plusieurs reprises de traverser les montagnes et de se diriger vers l’ouest à la recherche du fleuve Yukon, mais ses guides locaux l’abandonnaient constamment. Malgré les efforts déployés pour l’éloigner, Bell a finalement atteint le fleuve en 1845.     

Deux ans plus tard, en 1847, Alexander Hunter Murray a établi un poste de traite le long du fleuve Yukon, en plein milieu du territoire des Gwich’in, et l’a appelé Fort Yukon. Ce poste de traite allait devenir le plus grand et le plus important de la Compagnie de la Baie d’Hudson dans la région, bien qu’il ait été découvert plus tard que le poste avait en fait été construit de l’autre côté de la frontière, en Alaska. Aujourd’hui, une petite ville d’Alaska appelée Fort Yukon existe toujours à l’endroit où se trouvait le poste de traite.

Le fleuve Yukon tire son nom de l'expression gwich'in chųų gąįį han, qui signifie "fleuve d'eau vive", en référence à la couleur du fleuve. En anglais, cette phrase ressemble à "Yuk Han".

Carte en anglais des postes de traite des fourrures de la Compagnie de la Baie d’Hudson au Yukon, en Alaska, dans les Territoires du Nord-Ouest et dans le nord de la Colombie-Britannique.

Source : Castillo, V. E.; Schreyer, C. et Southwick, T. 2020. ECHO: Ethnographic, Cultural and Historical Overview of Yukon’s First Peoples. Institute for Community Engaged Research Press. https://pressbooks.bccampus.ca/echoyukonsfirstpeople/chapter/yukon-indigenous-languages/.

Le rôle des Autochtones

Les premiers commerçants ont fait largement appel aux peuples autochtones du Yukon, qui vivaient depuis longtemps dans des conditions nordiques difficiles. Ils avaient besoin des fourrures que les Autochtones leur apportaient pour faire du commerce, mais ils échangeaient aussi avec eux des choses à manger, comme la viande et le poisson.  

À l’opposé, les Autochtones étaient beaucoup moins dépendants des commerçants. Ils avaient une relation étroite avec la terre et savaient comment survivre sans l’aide des Européens et de leurs marchandises. Ils avaient l’habitude de traverser le Yukon tout au long de l’année et avaient déjà établi des routes le long des rivières et à travers les montagnes (dont beaucoup n’ont jamais été révélées aux commerçants). Ils connaissaient aussi les meilleurs endroits pour chasser.  

Les peuples autochtones avaient une influence considérable sur le commerce des fourrures, car c’est eux qui fournissaient la plupart des fourrures. Lorsqu’il s’agissait d’échanger avec les Européens, les Autochtones savaient à l’avance ce qu’ils voulaient et ne se laissaient pas berner par les babioles que leur offraient les commerçants. Ils ne voulaient pas n’importe quoi : ils recherchaient des fusils, des munitions, du tabac et des perles, par exemple.  

Ces biens devaient avoir des caractéristiques bien précises pour être considérés comme acceptables. Si ce que les commerçants de la Compagnie de la Baie d’Hudson offraient en échange n’était pas assez bon, les Autochtones se retiraient ou apportaient leurs fourrures aux Russes. Une fois, un groupe d’Autochtones a rejeté une boîte entière de perles parce qu’elles n’étaient pas de la bonne couleur!

Dessin de chasseurs Gwich’in en vêtements d’été. L’homme de gauche tient un fusil, qui aurait été échangé, tandis que l’homme de droite a un arc et des flèches traditionnels. Les deux hommes ont des ornements de nez. Il s’agissait probablement de coquillages provenant de troc avec les Premières Nations de la côte.  

Source : Murray, A. H. « Kootchin Hunters », Arctic Searching Expedition: A Journal of a Boat-Voyage through Rupert’s Land and the Arctic Sea, in Search of the Discovery Ships under Command of Sir John Franklin. Richardson, J. 1851. Londres. Longman, Browne, Green, and Longmans.

Les biens obtenus par échange facilitaient un peu la vie des Autochtones, mais ces derniers ont continué à faire appel à leurs compétences traditionnelles. Ils étaient très flexibles et pouvaient s’adapter rapidement au changement; ils en avaient en effet vécu de nombreux dans le passé, y compris à la fin de la période glaciaire. Lorsque le piégeage est devenu une activité importante dans le Nord, les peuples autochtones ont passé moins de temps à chasser et se sont concentrés sur l’installation et la vérification des pièges. À mesure que les armes à feu sont devenues plus courantes parmi les Premières Nations, ces dernières ont cessé de chasser ensemble en grands groupes aussi souvent. Il était beaucoup plus facile de tirer sur un caribou à une personne ou deux avec un fusil que de tendre une embuscade à un troupeau de caribous à plusieurs avec des arcs et des flèches.  

Bien que les peuples autochtones aient été capables de s’adapter à de nombreuses choses, ils n’ont pu rien faire contre les nouvelles maladies apportées par les Européens. Ils n’avaient jamais été exposés à des maladies comme la rougeole, la grippe, la varicelle, la variole et la scarlatine et n’avaient aucune protection contre elles. Des milliers d’Autochtones sont tombés gravement malades et ont perdu la vie à cause de ces maladies.  

La fin d’une époque

En 1867, la Russie a vendu l’Alaska aux États-Unis pour 7,2 millions de dollars. Peu après cet achat, les États-Uniens ont exigé que tout commerce de fourrure effectué par la Compagnie de la Baie d’Hudson en Alaska cesse. Comme son poste de traite le plus prospère, Fort Yukon, était en fait situé en Alaska, la compagnie savait qu’elle devrait éventuellement l’abandonner.

La chose n’a pas plu aux Autochtones. Ils entretenaient de bonnes relations avec les commerçants de la Baie d’Hudson et ne voulaient pas changer de partenaires de commerce. En 1869, les Premières Nations n’étaient plus autorisées à échanger leurs fourrures avec les Britanniques. En représailles, les Premières Nations ont refusé de vendre de la nourriture aux États-Uniens.  

En 1870, la Compagnie de la Baie d’Hudson a dû abandonner complètement Fort Yukon. Ce fut la fin d’une époque pour la société. À l’abandon de son meilleur poste de traite, la Compagnie de la Baie d’Hudson disparaîtra en grande partie du paysage du commerce des fourrures dans le Nord. En prenant la relève, les États-Uniens ont apporté leurs propres valeurs (celles de l’Ouest sauvage), associées à un commerce plus féroce et à une attitude plutôt antipathique à l’égard des peuples autochtones.

 
 

Le 141e méridien ouest est une ligne de longitude qui va du pôle Nord au pôle Sud.

 

Alexander Hunter Murray était un commerçant de fourrures pour la Compagnie de la Baie d’Hudson. Il était aussi artiste. Il a fait de nombreux dessins de Gwich’in, dont plusieurs se trouvent à la page Galerie du site.

Source : Archives du Manitoba, fonds Mme John Black C44-2, no 15.